Lu sur le site du Monde
Montréal (Canada) Correspondance - D'un côté, une compagnie canadienne, TransCanada, porteuse d'un projet d'oléoduc de 7 milliards de dollars canadiens (5 milliards d'euros) : le Keystone XL qui, dès 2013, acheminerait chaque jour, sur plus de 3 000 km, 1,3 million de barils de pétrole, extraits des sables bitumineux de l'Alberta, jusqu'au golfe du Mexique. De l'autre, des citoyens américains et des groupes écologistes, tant américains que canadiens, inquiets de son impact sur l'environnement et s'opposant à sa construction.Entre les deux, le gouvernement américain, désireux de sécuriser son approvisionnement pétrolier, et celui du Canada, qui soutient sans réserve ce projet renforçant son principal marché d'exportation de brut.
D'abord économique et environnementale, la bataille du Keystone XL, en abrégé KXL, est aussi devenue politique, tant le dossier est sensible dans plusieurs des six Etats américains traversés par l'oléoduc, dont le Nebraska.
Après une manifestation devant la Maison Blanche en août, soldée par 1 200 arrestations, le Département d'Etat a tenu cet automne des audiences publiques parfois houleuses dans les Etats concernés. Fin septembre, Greenpeace a organisé une manifestation anti-KXL devant le Parlement canadien et les opposants américains ont appelé à une mobilisation à Washington, le 6 novembre.
Le projet doit, en principe, être approuvé par le Département d'Etat avant la fin de l'année, s'il est jugé d'"intérêt national". La secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, est montée au créneau pour défendre le Département d'Etat, accusé par des groupes écologistes de biaiser le processus de décision. Mme Clinton a réfuté ces attaques, tout en reconnaissant qu'il n'y avait pas de consensus sur le KXL.
Barack Obama lui-même, interpellé, mercredi 26 octobre, à Denver (Colorado) sur ce dossier, a déclaré qu'"aucune décision n'avait été prise", ajoutant que son administration allait répondre aux inquiétudes suscitées par ce projet.
Jeudi, Lisa Jackson, qui dirige l'Agence de protection de l'environnement (EPA), a pourtant exprimé ses craintes face une infrastructure pouvant entraîner une hausse des émissions de gaz à effet de serre, par l'exploitation des sables bitumineux comme par le raffinage du pétrole. Une menace à laquelle s'ajoutent les risques de fuite sur un oléoduc qui "coupe littéralement le pays en deux".
Le changement de ton est manifeste, alors que, voilà quelques mois encore, le projet semblait coulé dans le béton. Début octobre, le président de TransCanada, Russ Girling, s'étonnait d'ailleurs de la levée de boucliers suscitée par le KXL, alors qu'il avait obtenu facilement, trois ans plus tôt, le feu vert pour un oléoduc similaire.
Le projet controversé constitue en effet les phases 3 et 4 d'un ensemble d'oléoducs déjà pour partie construits. Le principal, reliant les terminaux albertains de Hardisty à Steele City (Nebraska) puis à Patoka (Illinois), court sur 2 981 km et il est en service depuis juin 2010. Le tronçon Steele City-Cushing (Oklahoma), de 480 km de long, fonctionne depuis février.
La phase 3 verrait la construction d'une section de 700 km entre Cushing et Houston, avec une dérivation vers Port Arthur (Texas), tandis que la quatrième prévoit un oléoduc de près de 1 900 km entre Hardisty et Steele City, pour répondre à la demande grandissante en pétrole des Etats-Unis.
Pour l'administration Obama, la cause semblait entendue : plus de pétrole canadien signifie plus de raffinage aux Etats-Unis, plus d'emplois (20 000 selon des chiffres contestés) et moins de dépendance énergétique vis-à-vis du Moyen-Orient.
Dans un rapport récent, le Département d'Etat assurait qu'"il ne devrait pas y avoir d'impacts significatifs sur la majorité des ressources le long du corridor proposé". Et insistait sur la sûreté du projet, en affirmant que les impacts sur les eaux souterraines d'une éventuelle fuite dans la région névralgique des Sandhills, au Nebraska, "n'affecteraient qu'une zone limitée de la nappe phréatique".
Ce risque est bien réel, estiment pourtant les opposants à l'oléoduc qui doit traverser le riche écosystème des dunes des Sandhills sur 100 km. Le sénateur de l'Etat, Ken Haar, ne mâche pas ses mots : "Nous nous battons pour notre eau alors que le Canada se bat pour plus de profits", tranche-t-il.
Le gouverneur du Nebraska Dave Heineman a même convoqué une séance spéciale de la législature, le 1er novembre, pour discuter d'un tracé alternatif de l'oléoduc.
L'image de l'industrie canadienne des sables bitumineux, déjà ternie, pourrait l'être davantage. Des deux côtés de la frontière, les écologistes dénoncent en effet ce "pétrole sale" produit par une industrie déjà fortement émettrice de CO2, sans plafond vraiment contraignant, et dont le bilan va empirer avec une hausse de sa production.
Dans une logique purement économique, le gouvernement canadien souligne que l'industrie des sables bitumineux injectera 2,3 milliards de dollars canadiens dans l'économie du pays, d'ici à vingt-cinq ans. Il assure aussi que le KXL contribuera à créer 140 000 emplois.
A New York, le 21 septembre, le premier ministre canadien, Stephen Harper, a fait valoir que le projet présentait "des avantages indéniables pour les Etats-Unis", tandis que son ministre des ressources naturelles, Joe Oliver, jugeait que les oléoducs constituaient des "éléments clés" pour augmenter les exportations énergétiques canadiennes.
Tout autre, la logique des défenseurs de l'environnement a reçu l'appui de huit Prix Nobel de la paix, dont l'archevêque sud-africain Desmond Tutu. Ils ont pris par deux fois la plume, en août d'abord, pour demander à M. Obama d'interdire la construction de l'oléoduc, puis fin septembre, pour réclamer au premier ministre canadien l'abandon de l'exploitation des sables bitumineux, nocive pour le climat. Avec, soulignent-ils, des risques de "conflits violents, d'instabilité et de famine".
Anne Pélouas
Article paru dans l'édition du 30.10.11
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