Lu sur le site du Monde
Thimbu Envoyé spécial - Menacé par le réchauffement climatique, le royaume du Bhoutan, coincé entre l'Inde et la Chine dans les contreforts de l'Himalaya, paie les conséquences de l'industrialisation du reste de la planète. Au nord du pays, les glaciers de la chaîne himalayenne fondent de 20 à 30 mètres en moyenne par an, à un rythme qui s'accélère au point que les experts redoutent leur disparition d'ici à 2035. Les eaux issues de la fonte des glaces, lorsqu'elles brisent les digues naturelles qui les entourent, peuvent se transformer en crues dévastatrices, comme ce fut le cas en 1994, lorsqu'un torrent de boue a tué des dizaines d'habitants et anéanti des villages entiers. Avec 24 de ses 2 674 lacs glaciaires, considérés comme dangereux, le pays se prépare à affronter des "tsunamis de montagne" encore plus meurtriers au cours des prochaines années.Le Bhoutan est l'un des premiers pays au monde à devoir se protéger des crues glaciaires. En 2005, le gouvernement a reçu une aide du Fonds pour l'environnement mondial, financé en partie par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), afin d'évacuer une partie des eaux du lac glaciaire de Thorthormi et de rehausser ses digues naturelles. Mais en haute altitude, là où le relief est accidenté, les hélicoptères peuvent difficilement se poser et représentent une solution coûteuse. 350 habitants ont donc marché pendant 10 jours pour installer leur campement à plus de 5 000 mètres d'altitude. Des étudiants, des soldats à la retraite et des villageoises en costume traditionnel se sont portés volontaires. Avec leurs quelques outils et équipements, ils travaillent le plus souvent à main nue et les jambes dans l'eau glacée, pour tenter d'ouvrir un canal de drainage et construire des murs de pierre. Chaque année, leur travail est interrompu par l'arrivée de l'hiver.
"Il est possible, grâce aux images satellites, d'identifier les lacs glaciaires dangereux, mais il est impossible de dire quand et où se produira la catastrophe", affirme Pradeep Mool, ingénieur au Centre international pour le développement intégré des montagnes (Icimod), basé à Katmandou, au Népal. Plusieurs facteurs sont pris en compte pour estimer la dangerosité des crues, comme la topographie des environs, les avalanches qui menacent de faire déborder le lac, la solidité des digues naturelles et le volume d'eau contenu, ainsi que leur progression.
Les causes de ces crues glaciaires sont nombreuses et difficiles à évaluer. En haute altitude, dans des conditions climatiques extrêmes, la collecte des informations scientifiques peut s'avérer dangereuse. "Sur le lac de Thorthormi, les scientifiques n'ont pas pu terminer de mesurer le niveau de l'eau comme ils le souhaitaient. Les vents, extrêmement forts, menaçaient de renverser leur embarcation", témoigne Dowchu Dukpa, un ingénieur du ministère bhoutanais de l'environnement.
Les autorités ont identifié des zones à risque où les constructions sont interdites, et elles prévoient de mettre en place un système d'alerte par SMS. Des capteurs placés dans les lacs glaciaires informeront de la progression du niveau de l'eau. Les habitants des zones à risque, loin de tout sauf des antennes-relais, pourront en quelques minutes se mettre à l'abri, grâce à leurs téléphones portables.
Les "tsunamis du ciel" ne sont que l'un des dangers, les plus immédiats, auxquels le Bhoutan doit faire face. Car, à long terme, la fonte des glaciers risque de diminuer le débit des nombreuses rivières du pays. Or, l'eau est sa ressource la plus précieuse. Elle est au Bhoutan ce que le pétrole est au Koweït. Elle irrigue les champs en moyenne altitude, faisant vivre des milliers d'agriculteurs, et alimente les centrales hydroélectriques qui génèrent à elles seules 40 % des richesses produites chaque année dans le pays. La baisse du débit des fleuves aura des conséquences sur toute la région, bien au-delà des frontières du Bhoutan. Les glaciers de l'Himalaya servent de "château d'eau" pour l'Asie du Sud. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a calculé que leur fonte allait affecter l'approvisionnement en eau de 750 millions de personnes.
Victime, malgré lui, du réchauffement climatique, le Bhoutan veut être en avance en matière de développement durable. Le pays est l'un des rares au monde à absorber, et non émettre, des gaz à effets de serre grâce à ses forêts qui couvrent 82 % de sa surface. Le Bhoutan s'est engagé, dans sa Constitution, à protéger ses forêts sur un minimum de 60 % de son territoire. "Nous sommes menacés par la fonte des glaciers, mais nous ne pouvons exercer aucune pression sur les pays industrialisés. Montrer l'exemple est la seule solution qu'il nous reste", explique Ugyen Tshewang, le dirigeant de la commission nationale sur l'environnement.
La protection de l'environnement est l'un des quatre piliers du bonheur national brut, la doctrine qui régit la politique de développement du pays. Le Bhoutan sacrifie des points de croissance pour préserver sa forêt, refuse d'ouvrir des mines au nom de la préservation de l'environnement et construit des "routes écologiques", sans grues, le long des sites protégés.
"Le développement durable nous coûte cher, mais nous avons également besoin de l'aide l'Occident, surtout au niveau technologique", plaide Ugyen Tshewang. Conscient du danger qui le guette, le royaume a déjà entrepris de protéger ses espèces. La biodiversité qu'il abrite est l'une des plus riches de la planète avec 5 600 variétés de plantes et 600 espèces d'oiseaux recensées. 40 espèces d'oiseaux et de mammifères sont déjà en voie d'extinction. Au Bhoutan, une ère nouvelle a déjà commencé, celle du réchauffement climatique.
Julien Bouissou
Article paru dans l'édition du 04.11.11
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