mardi 1 novembre 2011

La Russie convoite les ressources de l'Antarctique

Lu sur le site du Monde                                                  Cliquer sur l'image pour l'agrandir



Les grandes manoeuvres ont-elles commencé ? La Russie a fait part, lors de la dernière réunion consultative du traité sur l'Antarctique, qui s'est tenue au mois de juin à Buenos Aires, en Argentine, de sa volonté de lancer des prospections de minerais et d'hydrocarbures sur le continent blanc et dans les mers qui le bordent. 

Le document soumis par la délégation russe liste les points- clés du "développement des activités de la Fédération de Russie dans l'Antarctique pour l'horizon 2020 et à plus long terme".

S'il a jeté le trouble parmi les délégations des 48 Etats parties au système du traité sur l'Antarctique, il ne lui a été fait jusqu'à présent aucune publicité - les réunions des parties se tenant en l'absence d'observateurs extérieurs et ne donnant lieu à aucune communication. Le document russe vient toutefois d'être discrètement mis en ligne sur le site Internet du secrétariat du traité (www.ats.aq).
Les projets de Moscou de mener des "investigations complexes portant sur les ressources minérales, en hydrocarbures et les autres ressources naturelles de l'Antarctique (...) sur le continent (...) et dans les eaux environnantes" pourraient fragiliser le singulier statut juridique du sixième continent. De fait, ils entreraient en collision frontale avec le protocole de Madrid. Ce texte sanctuarise ce territoire encore largement vierge, faisant de ce dernier "une réserve naturelle dédiée à la paix et la science". Aujourd'hui, toute forme de prospection et d'exploitation minière y est ainsi théoriquement proscrite.
Face aux appétits grandissants pour les matières premières et sur fond de tensions avec la Chine, qui pousse de plus en plus fermement ses pions sur le grand inlandsis, l'ancien président du gouvernement espagnol Felipe Gonzalez, l'ancien premier ministre australien Robert Hawke et l'ancien premier ministre français Michel Rocard, ambassadeur des pôles, ont lancé un appel à relancer la ratification du protocole de Madrid. C'est-à-dire à tout mettre en oeuvre pour que les retardataires le ratifient enfin.
Il reste en effet encore 14 Etats parties au traité qui n'ont pas ratifié le fameux protocole signé en 1991 dans la capitale espagnole et entré en vigueur sept ans plus tard. Leur ralliement permettrait de renforcer le poids diplomatique de ce texte, principal volet environnemental au système de traité.
Cette initiative suffira-t-elle à éviter une ruée vers le sous-sol de l'Antarctique ? Dans la foulée des appétits russes déclarés, un think tank australien réputé proche du gouvernement, le Lowy Institute for International Policy, vient de publier un rapport enjoignant aux autorités australiennes de protéger leurs intérêts nationaux en ouvrant d'ores et déjà "des discussions avec les Etats dans le même état d'esprit pour anticiper les questions de souveraineté et de ressources qui seront revisitées en 2048". C'est en effet à partir de cette date que le protocole de Madrid pourra être revu par les signataires.
L'Australie - comme la France, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Royaume-Uni, le Chili et l'Argentine - est un Etat partie dit "possessionné" : il a des revendications territoriales sur le continent blanc, celles-ci étant gelées par le traité. C'est l'une des étrangetés de ce régime juridique. Les prétentions territoriales des sept Etats "possessionnés" sont en effet mises entre parenthèses, mais pas remises en cause. Chacun des sept conserve ainsi ses revendications mais s'engage à ne pas les exercer.
M. Rocard, qui fut avec M. Hawke l'initiateur et l'architecte du protocole de Madrid, se dit confiant dans la robustesse du texte. "Le protocole pourra être modifié à partir de 2048, en cas d'accord des trois quarts des 12 Etats consultatifs (disposant d'un poids prépondérant dans le système du traité), dit M. Rocard. Or à cette date, le monde fera durement l'expérience de l'accélération du réchauffement déjà en cours : aller chercher des hydrocarbures en Antarctique ne semblera une idée pertinente à personne." "Mais aujourd'hui, le fait que nous allons vers une période de manque de ressources affole tout le monde, poursuit M. Rocard. Et il faut rappeler que le système du traité ne prévoit aucun moyen coercitif pour empêcher quiconque de faire ce qu'il entend faire."
De même que d'autres traités internationaux, celui sur l'Antarctique demeure donc suspendu à la bonne volonté de ses parties. Que l'une prenne des libertés avec le texte et ce peut être le début d'un effritement dangereux. Effritement potentiel à prendre d'autant plus au sérieux que le ballon d'essai lancé par les Russes n'a, pour l'heure, suscité aucune protestation officielle de la part des gouvernements des autres Etats parties.
De plus, ce ballon d'essai est lancé alors que la Chine renforce ses positions en Antarctique. Sa nouvelle base de Kunlun est située à près de 4 000 mètres d'altitude, surplombant ainsi toutes les autres stations scientifiques du continent. Le symbole est d'autant plus fort que l'intérêt scientifique de cette localisation n'a guère semblé évident aux parties consultatives, chargées de donner ou non - théoriquement sur le seul critère de l'intérêt scientifique - l'autorisation à l'implantation de ces stations.
"Les noms patriotiques donnés par la Chine à ses stations scientifiques (...) impliquent un nationalisme latent de la politique chinoise sur place, note le Lowy Institute dans son rapport. Des informations font état de ce que la base de Kunlun arbore un panneau "Bienvenue en Chine", ce qui suppose un déni des revendications australiennes." La station chinoise est, en effet, installée au beau milieu du territoire considéré par Canberra comme australien.

Stéphane Foucart

Un territoire vierge

12,5 millions de kilomètres carrés C'est la superficie
de l'Antarctique qui est recouverte à 98 % d'une couche de glace appelée inlandsis. Celle-ci
a une épaisseur qui va en moyenne de 1,3 km à l'ouest à 2,2 km
à l'est.
2 300 mètres L'altitude moyenne de l'Antarctique en fait le continent le plus élevé du monde.
Ses sommets de glace culminent à 4 000 mètres.
Habitants De 1 000 à 5 000 personnes vivent pour des missions temporaires sur l'Antarctique. Il s'agit pour l'essentiel de chercheurs qui se relaient dans les bases scientifiques des différents pays présents sur le continent blanc. Il n'existe aucun peuplement permanent.

Article paru dans l'édition du 23.10.11

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