dimanche 6 novembre 2011

En Iran, le lac Oroumieh, classé réserve de biosphère se meurt lentement

Lu sur le site du Monde

Aux confins de l'Ouest iranien, l'assèchement du lac Ouroumieh, l'une des plus vastes étendues d'eau salée au monde, est devenu le symbole des tensions entre le gouvernement central de Téhéran et les "marges" du pays peuplées des minorités kurdes et azéries.

Un mouvement de protestation a été lancé au printemps pour réclamer au gouvernement d'agir. Il n'a pas cessé depuis : manifestations rassemblant plusieurs centaines de personnes dans les rues de Tabriz et d'Ouroumieh, les deux capitales provinciales de l'Azerbaïdjan de l'est et de l'ouest, intenses échanges sur les réseaux sociaux...
Mi-août, la colère est montée d'un cran, après que le Parlement a refusé d'examiner en urgence la proposition faite par des députés locaux de détourner le cours de la rivière Aras pour alimenter le lac. Amnesty International, qui s'est saisie du dossier, fait état de plusieurs dizaines d'arrestations. Les vidéos postées par des anonymes sur YouTube témoignent d'une violente répression.
L'agonie du lac Ouroumieh a commencé il y a plus d'une vingtaine d'années avec la construction de barrages sur les 13 cours d'eau qui l'alimentaient jusqu'alors avec régularité. On compte aujourd'hui une quarantaine de retenues destinées à assurer l'irrigation de vastes étendues agricoles. D'autres sont en projet. L'accroissement de la population concernée - environ 14 millions de personnes - et le développement d'activités industrielles ont multiplié les besoins en eau, aggravant en aval le fragile équilibre de la formation lacustre. Sa superficie, estimée à 5 200 km2 environ - 140 kilomètres de long sur 55 de large - a fondu de 40 % depuis les années 1980. Le taux de salinité y est quatre fois supérieur à celui des océans.
La faiblesse des pluies depuis quelques années a rendu la crise plus aigüe encore. "Ouroumieh, c'est un peu la mer d'Aral de l'Iran", dit le géographe Bernard Hourcade. Sur les rives que l'eau ne vient plus border, des bateaux restent à quai. Au printemps dernier, la navigation a dû être suspendue dans plusieurs ports.
Le tourisme thermal, qui avait prospéré grâce aux vertus médicinales prêtées aux eaux d'Ouroumieh, est aussi affecté. Les îlots de sel se multiplient à la surface du lac et les vents qui érodent ces nouveaux monticules transportent des particules de sodium dans les champs, parfois situés à de grandes distances.
"La mort du lac Ouroumieh devient une perspective très crédible. Dans plusieurs villages bordant le lac, des habitants ont abandonné leurs maisons et leurs fermes pour rejoindre les villes. Et ce n'est qu'un début", témoigne Pouria Nazemi, un journaliste scientifique iranien.
Classé depuis 1976 réserve de biosphère de l'Unesco, le site d'Ouroumieh constitue aussi un lieu important de reproduction pour les oiseaux migrateurs qui, tels le pélican blanc, l'aigrette garzette ou l'ibis, viennent trouver refuge sur ses îlots et dans ses marais. Si aucun poisson ne peut survivre dans des eaux aussi salées, le lac est en revanche considéré comme un des plus vastes habitats naturels de l'artémie, un petit crustacé dont la taille ne dépasse pas 1,5 cm et qui est devenu un aliment très convoité par l'industrie aquicole.
"A plusieurs reprises, il a été demandé aux autorités iraniennes d'agir pour sauver le lac Ouroumieh. Mais aucune démarche officielle n'a été engagée", déplore Qunli Han, qui vient de quitter ses fonctions de directeur du bureau de l'Unesco en Iran. Les réserves de biosphère sont en théorie des "sites modèles de conservation de la nature", mais rien n'oblige les gouvernements à rendre compte de leur évolution. L'Unesco a simplement prévu une "revue" tous les dix ans. C'est à cet exercice que le gouvernement iranien doit se livrer d'ici à la fin de 2011. "L'examen des dix réserves de biosphères présentes en Iran est en cours. Nous attendons que le gouvernement nous remette son rapport", indique Qunli Han.
Une réunion du réseau des réserves de biosphère de l'Asie centrale et du sud doit avoir lieu du 14 au 17 novembre, sur l'île de Queshm. Une occasion d'aborder très directement la situation avec les autorités iraniennes ? "L'Unesco est prête à encourager toutes les initiatives susceptibles de sauver le lac", assure le fonctionnaire onusien. Jusqu'à présent, seul un projet - financé par le Programme des Nations unies pour le développement et le Fonds mondial pour l'environnement - a été mis en oeuvre pour mieux gérer l'utilisation de l'eau sur les affluents du lac. Mais de l'avis des scientifiques, il n'est pas à la hauteur du problème.
Le gouvernement a répondu de manière dissonante aux manifestants. Début septembre, le vice-président chargé des questions environnementales, Mohammad Javad Mohammadi-Zadeh, avait annoncé que le gouvernement était prêt à financer un projet de dérivation des eaux - très proche de celui que les députés régionaux avaient proposé - pour un montant de 900 millions de dollars (654 millions d'euros).
Mais depuis, le président Mahmoud Ahmadinejad, niant la gravité de la situation, a fait marche arrière. Il estime qu'"une meilleure gestion du système d'irrigation suffirait à sauver le lac".

Laurence Caramel
  Article paru dans l'édition du 01.11.11

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